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L’intention dans les questions du takfîr 2024.


L’intention dans les questions du takfîr
(Partie 1)

Une même parole utilisée par deux individus différents peut vouloir dire chez l’un la plus grande des vérités, et chez l’autre, le plus grand des mensonges. [Madârij e-sâlikîn d’ibn el Qaïyim (3/521).]

Louange à Allah le Seigneur de l’Univers ! Que les Prières et le Salut d’Allah soient sur notre Prophète Mohammed, ainsi que sur ses proches et tous ses Compagnons !

Introduction

Un statut quelconque est la somme de l’intention et de l’indice extérieur qui se concrétise au niveau des paroles et des actes, comme le réclame le grand principe de notre sage législation. Celui-ci est la marque de la justice, de la sagesse, et de la miséricorde divine. Les simples pensées ou ambitions non concrétisées n’entrent pas dans le libre choix (el ikhtiyâr). Aucun statut n’est prévu à cet effet, et heureusement, sinon, nous serions confrontés à une gêne immense qui s’oppose à cette sagesse, et miséricorde divines.

Ainsi, l’erreur, l’inattention, le lapsus (qui est une faute de langage née par inadvertance), qui sont indépendant, voire contraire à la volonté de l’individu, la parole prononcée sous la contrainte, ou sans en connaitre les implications est propre à la nature humaine. Pratiquement personne n’en est plus ou moins épargné. Si le Législateur en tenait compte, nous serions soumis à une gêne terrible. C’est pourquoi Il n’en tient pas rigueur. Dans ce registre, nous avons l’ivresse, la joie ou la colère extrêmes.

Nous ne sommes pas responsables dans dix cas de figure

Quand la faute est motivée par l’erreur, l’oubli, la contrainte, le lapsus, quand on ignore le sens de nos paroles, qu’on perd l’esprit, ou qu’on jure par mégarde. La raison, c’est que ces erreurs n’émanent pas de l’intention (qasd) du cœur, condition sine qua non pour être responsable devant Dieu.[1]

Quiconque profère un blasphème (kalimat el kufr) sans nécessité apparente, en tout âme et conscience, tout en sachant de quoi il en retourne, devient mécréant aussi bien dans son for intérieur que dans les apparences. Il est inadmissible de supposer qu’il puisse rester musulman au fond de lui.[2]

Les conditions du takfîr

Il existe trois sortes de conditions qui touchent au takfir d’un cas particulier :

Des conditions qui concernent l’auteur de l’acte : pubère, sain d’esprit, responsable, libre de ses choix, au courant de sa gravité (‘âliman bi kufrihi), ayant agi en toute âme et conscience, et intentionnellement (qasdan li fi’lihi).
Des conditions qui concernent l’acte lui-même : seuls les textes (Coran, sunna, et le consensus) sont à même de décréter son statut de mécréance ; il doit relever de la mécréance sans n’accepter aucune ambiguïté, ni interprétation, ni hypothèse.
Des conditions qui concernent la preuve du crime : témoignage, aveu, réputation.[3]

Les restrictions au takfir

Il existe trois sortes de restrictions qui touchent au takfir d’un cas particulier, et qui viennent en opposition aux conditions du takfir :

Des restrictions qui concernent l’acte lui-même : de sorte que la parole ou l’acte ne relève pas explicitement de la mécréance, ou bien basé sur un texte ******uraire non explicite sur la chose. Dans ce cas, nous ne pouvons être formels sur le statut de l’accusé ; s’il est possible de se prononcer sur son cas, c’est seulement en regard des implications et de la finalité de son acte. C’est ce que les légistes appellent le takfîr bi el maâl wa e-lawâzim.
Des conditions qui concernent la preuve du crime : de sorte que les témoins, par exemple, ne soient pas habilités à témoigner en raison de leur âge, de leur manque de crédibilité, ou que leur nombre soit insuffisant, etc.
Des conditions qui concernent l’auteur de l’acte : c’est ce que les spécialistes en usûl désignent sous le nom de ‘awâridh el ahliya, et qui sont les « exemptions » déchargeant un cas particulier de sa responsabilité devant Dieu.[4]

Les exemptions légales

Celles-ci sont de deux sortes

Innées : impuberté, maladie mentale, oubli, sommeil, etc.
Acquises : erreur (qui ne dépend pas de la volonté comme le fait de prononcer un mot par mégarde), interprétation, ignorance, contrainte, perte totale de l’esprit (ivresse) avec tous les détails que ces questions impliquent.[5]
Les intentions ne sont pas prises en compte pour les blasphèmes clairs et explicites

Si un cas particulier profère un blasphème qui est clair et explicite, de sorte que si on interrogeait l’auteur sur ses implications, il les confirmerait, dans ce cas, rien ne sert de le sonder sur ses intentions, car il ne jouit d’aucun bénéfice du doute. Néanmoins, dans la mesure où ses paroles peuvent se lire de plusieurs façons, dans le sens qu’elles ne sont pas clairement un blasphème, mais qu’elles peuvent tout aussi bien vouloir dire autre chose ; alors là oui, il incombe de connaitre ses intentions avant de le juger. Le discours des savants qui refuse d’accorder la moindre attention aux intentions, porte sur les blasphèmes clairs et limpides, non flous ni hypothétiques.

Ainsi, avant de se prononcer sur son cas, il incombe de regarder un certain nombre de choses :

Qu’il dissipe le doute sur ses intentions en assumant pleinement son blasphème, en sachant que l’intention de faire l’acte (qasd el fi’l), non de choisir la mécréance (irâdatu el kufr) est l’une des conditions du takfir à respecter. Cela concerne le cas où le blasphème n’est pas clair.
Néanmoins, quand il est clair comme l’eau de roche, il n’y a plus aucun intérêt à le sonder, car il parle de lui-même.
Pour les paroles ambigües, il incombe de tenir compte du principe de précaution, et de faire une enquête avant de juger son auteur.
Notre enquête fera abstraction des implications de ses paroles, mais s’en tiendra aux faits, car selon la règle : les implications d’une parole ne font pas autorité (lâzim el madhhab laïsa bi madhhab).
Si le coupable ne pénètre pas le sens de ses paroles, il sera désinculpé. C’est dans ce cas que l’on parle d’ignorance, non qu’il soit toléré d’ignorer que le blasphème est interdit.
La faute née d’une erreur qui est indépendante de la volonté de la personne responsable (lapsus, colère, peur, et joie extrêmes, etc.) n’a aucun effet légal.
Contrairement à certaines idées erronées, peu importe que le coupable ait l’intention (irâdatu el kufr) de sortir ou non de la religion. En d’autres termes, nous ne tenons pas compte de ses convictions vis-à-vis de son blasphème. Il peut trouver qu’il soit ou non légitime, cela n’aura aucun effet sur notre jugement.[6]

En annotation au dernier point, Sheïkh el Fawzân explique : « Ce dernier point n’est pas à prendre dans l’absolu comme nous l’avons vu précédemment. L’accusé ayant l’intention de prononcer un blasphème explicite devient mécréant, sauf s’il le prononce machinalement et sans intention. »[7]

Ainsi, l’intention prise en compte dans le chapitre de l’apostasie est l’intention de faire l’acte (qasd el fi’l), non de choisir la mécréance (irâdatu el kufr).[8] Shâtibî établit à ce sujet que les actes dépourvus d’intention sont comme le mouvement des objets inertes ; ils n’entrainent aucun statut.[9]

À suivre…


[1] I’lâm el mawqi’în (3/105-106).

[2] E-sârim el maslûl d’ibn Taïmiya (3/975).

[3] Qawâ’id fî bayân haqîqa el îmân (492-494) de ‘Âdil ibn Mohammed ibn ‘Alî e-Shaïkhânî qui à l’origine est une thèse ès Magistère.

[4] Qawâ’id fî bayân haqîqa el îmân (p. 494) de ‘Âdil ibn Mohammed ibn ‘Alî e-Shaïkhânî qui à l’origine est une thèse ès Magistère.

[5] Qawâ’id fî bayân haqîqa el îmân (494-510) de ‘Âdil ibn Mohammed ibn ‘Alî e-Shaïkhânî qui à l’origine est une thèse ès Magistère.

[6] Dhawâbit takfîr el mu’ayin (85-95) de Râshid e-Râshid.

[7] Dhawâbit takfîr el mu’ayin en annotation (p. 95) de Râshid e-Râshid.

[8] El îmân ‘inda e-salaf (147-163) de Mohammed ibn Mahmûd Âl Khudhaïr et qui fut revu et préfacé par les sheïkh suivants : ‘Abd Allah ‘Aqîl, ‘Abd e-Rahmân el Mahmûd, ‘Abd el ‘Azîz Âl ‘Abd e-Latîf, ‘Alawî e-Saqqâf.

[9] El muwafaqât (1/149).

L’intention dans les questions du takfîr
(Partie 2)

Ne pas confondre entre les motivations de la mécréance et les membres avec lesquels elle se matérialise

En fonction des motivations de son auteur et de ses facteurs, le kufr se subdivise en six grandes catégories :

Premièrement : el inkâr : (renier : quand on parle de sa provenance, autrement dit le cœur), e-takdhîb (démentir : quand on parle de l’organe par lequel il se matérialise), et du kufr el jahl (ignorance : quand on parle de sa motivation). Il est à noter que cette catégorie est peu courante en raison de la venue des prophètes par lesquels la preuve d’Allah est établie contre les hommes.[1]
Deuxièmement : el juhûd : qui consiste à reconnaitre Allah avec le cœur, sans le traduire dans les paroles, comme c’est le cas pour Pharaon.
Le kufr juhûd : se divise en deux catégories :
en kufr mutlaq qui concerne le tahwîd e-rububiya, les lois d’Allah ou la mission des messagers,
et en kufr muqaïyid qui consiste à renier une obligation, un interdit, ou n’importe quel enseignement de la religion.
Troisièmement : el ‘inâd : qui consiste à reconnaitre Allah avec son cœur et dans les paroles, mais sans pour autant se soumettre à sa religion comme Abû Tâlib. Dans ce sens, nous avons le fameux kufr el îbâ (par refus) et el istikbâr (par orgueil) d’ibn Qaïyim qui concerne notamment Shaïtan et la plupart des Juifs.
Quatrièmement : e-nifâq : qui consiste à reconnaitre la religion avec la langue sans y adhérer avec le cœur. C’est le cas des hypocrites. Il est certes différent du kufr au niveau des apparences, mais en regard du devenir de son auteur dans l’au-delà, c’est une forme de kufr. Là aussi, il est question de nifâq akbar et nifâq asghar.
Cinquièmement : el i’râdh : qui consiste à se détourner du message et à ne pas vouloir l’entendre sans forcément le démentir ou le renier.
Sixièmement : e-shakk : qui consiste à ne pas totalement être convaincu du message prophétique.

En fonction des membres avec lequel il se matérialise, il se divise en trois catégories :
• El kufr el qalbî : qui concerne les éléments de la croyance qui touchent au kufr akbar (comme le reniement, le scepticisme, l’association dans les trois domaines du tawhîd : Rububiya, Ulûliya, el Asmâ wa e-Sifât).
• El kufr el qawlî : qui concerne les paroles et touche aussi bien le kufr akbar que le kufr asghar. Il faut savoir ici que les paroles traduisent la croyance. Celui qui apostasie avec la langue apostasie immanquablement avec le cœur, contrairement aux jahmites pour qui les paroles extériorisent la croyance, sans relever du kufr en elles-mêmes ; c’est le dalîl zhâhir. Ainsi, peu importe que celui qui prononce le kufr soit convaincu par ses paroles ou non, étant donné qu’il les a dites en toute âme et conscience (tatâbuq e-zhâhir bi el bâtin). Seul le mukra (qui les prononce sous la contrainte) est excusable.
• El kufr ‘amalî : qui concerne les actes et qui se subdivise en
en mukhrij min el milla qui correspond aux actes s’opposant littéralement à la foi (blasphémer, se prosterner devant une idole, uriner sur le Coran),
et ghaïri mukhrij min el milla comme le hukm bi ghaïri mâ inzala Allah et târik e-sâlat comme le souligne ibn el Qaïyim.[2]

Ainsi, il est plus précis de classer le kufr de cette façon que de le classer en ‘amalî pour parler du kufr asghar et i’tiqâdî pour parler du kufr akbar étant donné que certains actes du domaine du kufr ‘amalî relèvent du kufr akbar.[3]

En outre, pour les membres avec lesquels il se matérialise, les légistes vont s’intéresser uniquement à deux d’entre eux : la parole et les actes. La raison, c’est que sur terre, nous nous fions aux apparences et que personne, en dehors d’Allah, n’est à même de sonder les cœurs. Ainsi, les motivations du kufr, bien que définies par les spécialistes, ne sont pas de notre ressort. Il est extrêmement difficile, en effet, de prouver qu’un tel fut motivé par telle ou telle motivation, sauf s’il nous l’apprend de sa bouche ou de sa plume. En revanche, dans le chapitre de l’apostat, on s’arrête, beaucoup moins aléatoires et largement plus perceptibles, aux paroles et aux actes. Il incombe dans un domaine aussi grave de s’en tenir à des faits matériels. Ex. : quand on se moque de la religion, peu importe de savoir quelle en fut la motivation, car cachée. L’essentiel, c’est que nous avons à faire à une annulation de l’Islam, en sachant qu’il existe une interaction entre le cœur et les actes ; les actes ne sont que l’expression de la pensée, et ils sont la seule chose que nous retenons pour nous faire un jugement.[4]

Remarques

Certains savants ramènent la mécréance au takdhîb (ibn Jarîr Tabarî), ou à la volonté (Abû el Hasan el Ash’arî). Parfois, ils disent qu’elle est l’implication du kufr i’tiqâdî (Hâfizh el Hakamî).
Or, il incombe de distinguer, comme nous l’avons vu, entre avancer les motivations ayant poussées à la mécréance, et dire que l’acte en lui-même ne relève pas de la mécréance, mais qu’il en est la preuve ou l’indice, comme l’établissent les murjites.[5] Ainsi, comme le souligne Sheïkh el Fawzân, chaque acte est forcément accompagné d’une attention. C’est la raison pour laquelle, le sommeil, l’oubli, la contrainte et l’impuberté, ne sont pas pris en considération dans ce domaine.[6]

Par rapport à cela, la mauvaise éducation n’est pas une restriction au takfîr dans les cas de blasphème (insulter Dieu), sinon, cela reviendrait à donner des excuses aux enfants Juifs et chrétiens, pour reprendre les termes de Sheïkh el Barrâk. Sauf, si on entend par là, qu’on le prononce machinalement et sans intention. Dans ce cas, préconise le Sheïkh, il incombe de lutter contre cette mauvaise habitude, et de blâmer son auteur.[7]

Il rejoint exactement les paroles de Sheïkh el Fawzân précédemment citées et disant concernant le fait de ne pas prendre en considération les intentions de quelqu’un qui blasphème : « Ce dernier point n’est pas à prendre dans l’absolu comme nous l’avons vu précédemment. L’accusé ayant l’intention de prononcer un blasphème explicite devient mécréant, sauf s’il le prononce machinalement et sans intention. »[8]

Mais, restons, avec Sheïkh el Barrâk, l’auteur de la fatwa suivante : « Insulter la religion musulmane en disant, par exemple, qu’elle est entièrement négative ou qu’il n’y a rien de positif relève de la mécréance. Néanmoins, certaines gens maudissent la religion de son vis-à-vis musulman. Il ne vise pas l’Islam dans l’absolu, mais sa tendance, sa vision, sa façon de se comporter. Il ne fait que dénigrer la personne en face de lui. C’est mal, bien sûr, mais nous ne pouvons l’accuser de blasphème, car nous avons à faire à un musulman. Si vous voulez l’irriter, vous n’avez qu’à lui demander s’il est musulman. Nous devons donc distinguer entre les deux cas de figure. »[9]

C’est peut-être à la lumière de ces explications que nous devons comprendre la fatwa suivante de Son Éminence : Sheïkh Dr. Ahmed ibn ‘Alî el Mubârakî Membre de l’Ordre des Grands Savants d’Arabie saoudite et du Comité permanent de la Fatwa :

Question : j’ai ordonné à l’un de mes frères qui a 18 ans de faire la prière et d’obéir aux parents, en m’appuyant sur certaines paroles du Prophète (r). Cependant, il m’a fait front en proférant de très mauvaises paroles que je ne peux évoquer ici. Il m’a dit « va-t-en !» d’une façon familière, en vous prenant également à partie. Il va jusqu’à dire des paroles très mauvaises sur le Messager (r) – qu’Allah nous préserve ! L’événement s’est passé il y a une semaine. Quels conseils pourriez-vous nous donner sur cette affaire, qu’Allah vous garde ?

En réponse : c’est très grave auprès d’Allah (I) d’insulter un musulman qui qu’il soit, mais c’est encore plus grave quand il s’agit de Mohammed ibn ‘Abd Allah. Il n’a pas honte de faire cela ? Qu’est-ce qu’il lui a fait ? Apparemment, il y a un problème au niveau de l’éducation. Il est possible également que ce jeune garçon reçoive la mauvaise influence de vautours qui lui inculquent une mauvaise croyance et qui l’abusent. Quoi qu’il en soit, il incombe d’avoir une discussion avec ce jeune. Il faut lui proposer calmement de revenir sur ces paroles et de s’en repentir. S’il écoute, alors c’est tant mieux – qu’Allah soit loué ! Sinon, il faut soulever son affaire à un juge qui sera comment agir, que ces insultes visent le Prophète ou n’importe qui d’autre. Malheureusement, quand il s’agit de nous-mêmes, nous réagissons tout de suite, mais quand il s’agit du meilleur des hommes, personne ne bronche !

Comme si cela ne suffisait pas que les non-musulmans le prennent à partie ! N’ont-ils pas honte ! Qu’est-ce que Mohammed leur a fait, lui qui est une miséricorde pour l’Humanité entière et un sauveur ? Vous n’avez qu’à lire sa biographie du début à la fin et vous y trouverez des splendeurs et des sagesses suprêmes inégalées. Vous y découvrirez des hautes vertus auxquelles aucun homme ne peut aspirer, car cet homme est immunisé de l’erreur (ma’sûm). Il faut donc se remettre en question, mais je répète, nous avons une part de responsabilité dans ce genre d’agissement, car nous n’avons pas fait notre travail d’éducation et d’orientation comme il convient. J’implore Allah de guider ce genre de personnes de Sa Grâce !

Si cela est clair, nous pouvons passer au point suivant :

À suivre…


[1] Ibn el Qaïyim dit à ce sujet : « Deux individus méritent le châtiment : le premier consiste à se détourner de la preuve d’Allah par négligence et à ne pas la vouloir ni la mettre en pratique ni mettre en pratique ce qu’elle implique. Le deuxième consiste à s’en détourner par orgueil après l’avoir reçue et à délaisser ses implications.
Le premier c’est du kufr i’râdh,
Et le deuxième, c’est du kufr ‘inâd.
Quant au kufr el jahl sans que la preuve d’Allah ne soit venue et sans avoir la possibilité d’y avoir accès, c’est ce genre de kufr au sujet duquel Allah n’applique pas le châtiment, pas avant que la preuve prophétique ne soit appliquée. » [Voir : tarîq el hijrataïn (p. 414)]

[2] E-salât wa hukm târikihâ (p. 37).

[3] Voir : e-Takfîr wa Dhawâbituhu de Sheïkh Ibrahim e-Ruhaïlî.

[4] Qawâ’id fî bayân haqîqa el îmân (529-594) de ‘Âdil ibn Mohammed ibn ‘Alî e-Shaïkhânî qui à l’origine est une thèse ès Magistère.

[5] E-tawassut wa el iqtisâd fî an el kufr yakûn bi el qawl aw el ‘amal aw el i’tiqâd de ‘Alawî e-Saqqâf (p. 18).

[6] El muntaqa (2/9-10).

[7] Voir : jawâb el îmân wa nawâqidhuhu de Sheïkh ‘Abd e-Rahmân el Barrâk.

[8] Dhawâbit takfîr el mu’ayin en annotation (p. 95) de Râshid e-Râshid.

[9] Voir : jawâb el îmân wa nawâqidhuhu de Sheïkh ‘Abd e-Rahmân el Barrâk.

L’intention dans les questions du takfîr

(Partie 3)

Sonder les cœurs dans les questions du takfîr

Il faut savoir qu’il existe trois sortes d’intentions (qasd) :

1- La volonté parfaite (el irâda el jâzima), qui correspond au qasd el fi’l. Ainsi, quand on fait un acte sans intention de le faire, on entre dans le domaine de l’erreur que le Législateur prend en considération dans les questions de restrictions au takfîr. Ex. : marcher involontairement sur le Coran.

2- Le libre choix (el ikhtiyâr) dans le sens où la personne choisit délibérément de faire un acte d’apostasie. Il est antonyme de la contrainte qui est également une restriction au takfîr.

3- La croyance (el i’tiqâd), qui correspond à irâda el kufr qui n’a aucune influence sur le jugement d’un cas particulier. Autrement dit, peu importe qu’on ait l’intention ou non de sortir de l’Islam en prononçant ou en commettant du kufr.[1]

Il va sans dire que des grandes sommités comme Sheïkh el Albânî parlent des deux premières formes d’intention, et plus particulièrement du qasd el fi’l. Les savants donnent pour exemple l’homme, qui ayant retrouvé sa monture, dans le désert, s’exclama dans un élan de joie : « Ô Allah ! Tu es mon serviteur et je suis ton seigneur ! »[2] Ainsi, les savants établissent que la volonté parfaite et le libre choix sont des facteurs déterminants à prendre en compte avant de se prononcer sur un cas particulier. Des restrictions comme l’état de joie ou de colère extrêmes, qui font perdre le contrôle des sens, sont prises en considération dans la question du takfîr el mu’ayin.[3]

Ibn el Qaïyim souligne que la prise en compte des intentions émanant du cœur est un grand principe de notre sage législation. Celui-ci est la marque de la justice, de la sagesse, et de la miséricorde divine.[4] C’est exactement ce que nous apprend le hadîth : « Les actes ne valent que par leurs intentions, et chacun est rétribué en fonction de celles-ci. »[5]

El Albânî lui-même établit une règle extraordinaire et disant qu’en commettant un acte de mécréance, on ne devient pas automatiquement mécréant (laïsa kull man waqa’a fi el kufr waqa’a el kufr ‘alaïhî). Contrairement à la tendance murjite, il considère que le blasphème relève du kufr akbar, mais, comme le souligne ibn Taïmiya, le takfîr el mutlaq (un cas dans absolu) n’implique pas forcément le takfîr el mu’ayin (un cas particulier), sauf dans la situation où toutes les conditions pour le faire soient remplies et où toute restriction obligeant à s’en abstenir soit en même temps exclue.[6]

Le blasphème

On reproche à Sheïkh el Albânî de mettre en avant la mauvaise éducation et l’ignorance pour excuser certains cas de blasphème. Il va plus loin en imposant une peine corporelle au fautif.

En réponse, l’ignorance dont il parle touche à qasd el fi’l, non à irâda el kufr. Autrement dit, on peut ne pas savoir que la parole qu’on prononce relève du blasphème ; dans ce cas on peut être excusable. En revanche, ne pas savoir que la parole qu’on prononce relève du blasphème n’est pas une excuse en soi, nuance. Quant à la punition corporelle pour ce genre d’ignorance, il n’est pas le premier à en parler. Une fatwa d’Abd e-Razzâq ‘Afîfî va dans ce sens.[7]

Dans son fameux ouvrage e-sârim el maslûl, ibn Taïmiya explique que dans certains cas de mauvaises paroles (maudire le temps, etc.), la chose est, en gros, interdite. Il faut sommer au coupable ne sachant pas que ses paroles dénigrent Allah ou la religion, de se repentir ! Il dit même qu’il faut sévèrement le punir en vue de l’instruire. Mais, il ne devient pas kâfir, et il ne mérite pas la peine de mort, bien qu’il soit à craindre dans son cas qu’il atteigne le degré de mécréance.[8]

Pour ce qui est de irâdat el kufr, ibn Taïmiya affirme que le blasphème entre dans les annulations de l’Islam. Il implique la mécréance zhâhiran wa bâtinan, peu importe que le fautif en face l’istihlâl ou non, ou qu’il soit convaincu que cela soit interdit ou non ; contrairement à l’opinion des murjites qui ramènent la mécréance à la connaissance du cœur et qui ne reconnaissent pas ‘amal el qalb,[9] ce qui dans tous les cas n’est pas le cas de Sheïkh el Albânî.

Ibn Taïmiya relève le consensus des savants sur la condamnation à mort de toute personne qui dénigre le Prophète (r), peu importe qu’elle ait l’intention de s’amuser ou non, ou qu’il l’insulte sans intention de le dénigrer.[10]

En revanche, qasd el fi’l est un autre sujet. Ibn Taïmiya en donne plusieurs exemples dans e-sârim el maslûl. Il donne notamment celui de la campagne de diffamation dont fut victime ‘Âisha. Il distingue entre ceux qui voulaient porter préjudice au Prophète, à l’image de ‘Abd Allah ibn Ubaï ibn Sallûl, et ceux qui n’avaient pas du tout cette intention, comme Hassân, Mistah, et Hamnat. Les Compagnons l’avaient bien compris ; ils voulaient condamner à mort le premier, mais pas ces derniers, qui furent malgré tout punis à la peine de diffamation.[11]

On peut dénigrer Allah et Son Prophète sans savoir que le mot qu’on a choisi a cette vocation. C’est pour ce cas qu’on tient compte du ‘udhr bi el jahl, pas pour le blasphème manifeste (sabb e-salîh), qui en effet n’offre aucune circonstance atténuante, et aucune interprétation possible. Ibn Taïmiya prend l’exemple du Verset lâ taqûlû râ’ina. Les Juifs l’utilisaient dans l’intention de porter préjudice au Prophète, mais ce n’était pas le cas des Compagnons. C’est pourquoi le Coran ne les condamna pas à la mécréance.[12]

Ailleurs, il donne l’exemple du Verset inna dhâlikom kâna yu-dhî e-nabî v. 53 de s. el ahzâb. Il parle des Compagnons. C’est pourquoi dans ce chapitre, ibn Taïmiya opte pour le détail.[13] Il explique notamment : « Si un acte porte préjudice au Prophète (r) sans que son auteur ne le sache et sans qu’il n’en ait l’intention, il faut le lui interdire, car c’est un péché. Ex. : lever la voix au-dessus de la sienne.

Cependant, s’il a vraiment l’intention de lui porter préjudice, ou bien s’il a conscience qu’il lui porte préjudice, et qu’ensuite il le fasse en toute âme et conscience, c’est dans ce cas qu’on devient mécréant et que les actes s’annulent. »[14]

Ainsi, il faut tenir compte des intentions dans le chapitre des nawâqidh el imân. Cette question est intimement liée à une autre question et sur laquelle règne malheureusement également une grande confusion et qui est e-talâzum baïna e-zhâhir wa el bâtin.

L’interaction entre le cœur et les actes

Ibn Taïmiya établit qu’il existe une interdépendance entre le cœur et les actes entre le bâtin (intérieur) et le zhâhir (extérieur). Il est impossible que la foi imposée soit parfaite (ou valide) au niveau du cœur sans que cela ne se traduise dans les actes.[15] Il en conclut que le jins el ‘amal, qui fait tant débat, est l’une des implications de la croyance du cœur, indépendamment de savoir si les actes sont considérés comme faisant partie des implications de la foi ou bien s’ils en font partie intégrante.[16]

Il explique également que cette interaction va dans les deux sens, soit que les actes sont la preuve de la foi qui se trouve dans le cœur.[17] En sachant que cette règle n’est pas valable dans tous les cas, et que, pour ce qui est, du jugement terrestre, nous devons uniquement nous ************r des apparences, comme s’était le cas pour les hypocrites à l’époque du Prophète (r).[18] Quant au statut de la personne auprès d’Allah, personne ne peut le savoir en dehors de Lui.

Les cas de blasphème

Pour revenir au qasd el fi’l, il existe quatre cas de figure dans la relation qui lie les intentions (bâtin) aux actes (zhâhir), concernant le domaine du takfîr.[19]

1- Le qusd fait sortir un individu de l’Islam, mais les actes ne prêtent pas à le dire. C’est le cas des hypocrites. En apparence, ils jouissent des mêmes droits que les musulmans.

2- Les actes (zhâhir) sont la preuve catégorique qu’à l’intérieur il est mécréant. C’est le cas du blasphème (sabb Allah, e-Rasûl, etc.). Le blasphème est un acte de mécréance en lui-même, qui ne peut provenir d’un croyant. Ibn Taïmiya explique que celui qui blasphème est un kâfir bâtinan wa zhâhiran. Il donne également l’exemple de celui qui jette le Coran, tue un prophète… des actes qui démontrent l’absence totale de la foi au Coran. Et quand bien même le coupable affirmerait le contraire, nous ne le croirions pas.[20]

3- Un cas particulier fait un acte de kufr qui est clair, mais qui ne nous permet pas de le kaffar, car nous ne sommes pas catégoriques sur ses intentions, dans le sens où plusieurs hypothèses sont possibles. C’est le cas de celui qui a demandé à ses enfants de le brûler après sa mort.

4- Un cas particulier est l’auteur d’un acte qui ne nous permet pas de le kaffar de façon catégorique, car ambigu, et dans la mesure où nous n’avons pas d’indication sur ses ambitions. El Qadhi ‘Iyâdh donne l’exemple de celui qui refuse de prier sur le Prophète (r) en disant, dans un élan de colère, qu’Allah ne prie pas sur celui qui prie sur lui. On demanda à Sahnûn, s’il est considéré comme celui qui insulte ouvertement le Prophète (r) ou les anges qui prient sur lui. Il répondit que non, étant donné qu’il était énervé et qu’il n’avait pas l’intention d’insulter le Prophète (r). Pour Abû Ishâq el Barqî et Asbâgh ibn el Faraj, il ne faut pas le tuer, car il voulut simplement insulter les gens. Cette tendance rejoint celle de Sahnûn. Insulter le Prophète sous l’effet de la colère n’est pas une excuse, mais ses paroles portent à confusion, et aucun n’élément n’indique qu’il voulait réellement insulter Mohammed ou les anges. Aucune prémisse ne va non plus dans ce sens. Les indices vont même dans le sens contraire. Cependant, el Hârith ibn Maskîn et d’autres savants voient la peine de mort pour ce cas précis, et ne lui offre aucune circonstance atténuante.[21]

Ainsi, il existe une divergence sur ce dernier cas de figure, ce qui n’implique nullement de taxer de murji celui qui rejoint la tendance du grand légiste Sahnûn. Par ailleurs, le principe de précaution joue un rôle capital en matière de droit pénal.

À suivre…


[1] Voir : ‘âridh el jahl de Râshid e-Râshid (p. 125-126).

[2] Rapporté par el Bukhârî (6308) et Muslim (3927).

[3] Voir : el qawâ’id el muthlâ de Sheïkh el ‘Uthaïmîn (p. 89).

[4] I’lâm el mawqi’în (3/105-105).

[5] Rapporté par el Bukhârî (1), Muslim (1907), e-Tirmidhî (1647), e-Nasâî (75), Abû Dâwûd (2201), ibn Mâja (4227), et Ahmed (1/43).

[6] Mujmû’ el fatâwâ (12/487-488).

[7] Voir : fatâwâ wa rasâil Sheïkh Abd e-Razzâq ‘Afîfî (1/173).

[8] E-sârim el maslûl (p. 562, mais aussi p. 495)

[9] Voir : e-sârim el maslûl (p. 324, 451-454, 562, mais aussi p. 495).

[10] E-sârim el maslûl (p. 195, 465).

[11] E-sârim el maslûl (p. 58-59, 179-180).

[12] E-radd ‘alâ el bakrî (341-342)

[13] Majmû el fatâwa (7/582).

[14] E-sârim el maslûl (p. 2/120).

[15] Majmû’ el fatâwâ (7/582).

[16] Majmû ‘el fatâwâ (7/616 et 631).

[17] Sharh el asfahâniya (p. 142).

[18] Majmû’ el fatâwâ (7/620-621).

[19] Voir : nawâqidh el îmân el qawliya wa el ‘amaliya qui est une thèse ès Doctorat du D. ‘Abd el ‘Azîz Âl el ‘Abd e-Latîf

[20] Majmû’ el fatâwâ (7/621).

[21] Voir : e-shifâ (2/979-980), et i’lâm el mawqi’în d’ibn el Qaïyim (3/108).

L’intention dans les questions du takfîr

(Partie 4)

Le principe de précaution

Les savants établissent que la takfîr a lieu sur des choses qui sont claires, et qui n’offrent aucune circonstance atténuante au fautif. Ils font une distinction entre ce que l’on appelle mâ yudhâd el iman mi kulli wajh (qui s’oppose à la foi à tous les niveaux) et pour lequel le fautif devient un kâfir si les conditions sont réunies et les restrictions exclues ; et mâ lâ yudhâd el iman mi kulli wajh (qui ne s’oppose pas à la foi à tous les niveaux). Quant au deuxième cas, il incombe de l’interroger sur ses intentions, comme le Prophète (r) l’a fait avec Hâtib ibn Abî Balta’a.[1]

Ibn Taïmiya explique à ce sujet : « Le takfîr ne peut s’avérer pour des choses où plusieurs hypothèses sont possibles. »[2] La preuve, comme le souligne ibn Taimiya, c’est que celui qui se prosterne devant une idole avec le cœur tourné vers Allah ne devient pas un kâfir.[3] Ainsi, l’acte en lui-même peut passer de shirk akbar à bid’a et shrik asghar quand l’intention est vouée au Très-Haut. Le Comité des grands savants d’Arabie Saoudite a une fatwa (nº 9879) qui va dans ce sens, et qui fut rédigée sous l’autorité de Sheikh ibn Bâz, au sujet du tawâf autour des tombes. Sheïkh el Albani a la même fatwa sur celui qui égorge devant une tombe.[4] L’ancien mufti Mohammed ibn Ibrahim rejoint ce principe dans une fatwa où il parle également de ceux qui égorgent pour Allah devant des mausolées.[5] Même chose, pour celui qui prie devant un mausolée.[6] Ce dernier va plus loin, dans une fatwa traitant du cas de quelqu’un ayant insulté la religion d’un autre. Ce n’est pas évident, selon lui, qu’il voulait insulter l’islam. Il explique qu’il fallait tenir compte de la présomption d’innocence avant d’appliquer les peines corporelles.[7] Nous avons vu plus haut une parole de Sheïkh el Barrâk allant dans ce sens.

Sheïkh el ‘Uthaïmîn distingue entre ceux qui se moquent des barbus en parlant de leur personne et ceux qui s’attaquent réellement à la religion, bien que de toute façon la chose reste très périlleuse.[8]

C’est pourquoi ibn el Qaïyim souligne que le kufr au niveau des actes se partage entre ceux qui s’opposent à la foi à tous les niveaux et ceux qui ne s’y opposent pas, comme nous l’avons déjà vu dans un article précédent.[9] Ibn Rajab dira plus tard que même au niveau des paroles, il faut tenir compte des intentions.[10] El Albânî également à un discours qui va dans ce sens, et qui fut d’ailleurs peut-être mal interprété, wa Allah a’lam !

L’Imam Ahmed lui-même, comme le mentionne ibn el Qaïyim dans el badâi’ fut interrogé au sujet d’un homme qui traita de menteur le muézin au moment où ce dernier disait : ashhadu anna Mohammed rasûl Allah ! Il est possible, répondit-il, qu’il parlait du muézin sans faire allusion aux paroles qu’il prononçait.[11]

C’est pourquoi le musulman scrupuleux ne s’aventure pas sur un terrain aussi glissant. L’Imam ibn ‘Abd el Wahhâb l’a bien compris, quand il dit qu’il ne kaffar que pour les choses où règne le consensus, en parlant de l’attestation de foi. Il ne le faisait même pas pour le tarik e-salât par fainéantise, bien qu’il existe des textes sur la question, et que la tendance qui penche vers le takfîr est très forte.[12]

Dans riyâdh e-sâlihîn, e-Nawawî, pour sa part, explique au sujet du terme bawâh que pas la moindre ambigüité ne doit régner pour le devenir. Enfin, dans sharh qawâ’id el muthlâ, Sheikh el ‘Uthaïmîn est très sévère sur la question de kaffar les gouverneurs au premier abord, dans la mesure où ces derniers n’affichent pas ouvertement qu’ils autorisent moralement l’usure ou autre. La plupart du temps, ils sont ignorants et sont influencés par un mauvais entourage, et parfois même malheureusement par des mauvais savants.[13]

Ailleurs, il explique : « Il est possible que l’une des motivations qui poussent à appliquer des législations qui s’opposent à la religion, soit la menace que certains gens plus puissants font régner sur lui. Il cherche ainsi à se les concilier. C’est pourquoi, nous disons, qu’il n’est pas différent ainsi des autre pécheurs qui sont motivés par les mêmes raisons… »[14]

Le kufr extérieur est l’indice du kufr intérieur

Pour bien comprendre cette règle, il incombe de distinguer entre deux tendances :

Premièrement : les murjites pour qui le kufr ne se vérifie pas au niveau des paroles et des actes, mais ceux-ci sont la preuve du kufr.

Deuxièmement : certains traditionalistes pour qui le kufr a lieu au niveau des paroles et des actes, mais en même temps, il est l’indice du kufr i’tiqâdî (intérieur). Cette opinion est correcte en regard de l’interaction entre la foi et les actes, comme nous l’avons vu. Quand l’intérieur est corrompu, cela se reflète automatiquement sur les actes.

Dans son fameux ouvrage e-sârim el maslûl, ibn Taïmiya considère que le kufr extérieur est la preuve (dalîl) du kufr intérieur. Qu’on en juge : « La foi et l’hypocrisie puisent leur essence dans le cœur. Ce qui apparait dans les paroles et les actes ne sont que la conséquence (far’) et la preuve (dalîl) de ce qu’il y a dans le cœur. Ce qui permet de juger une personne, c’est qu’elle exprime extérieurement ce qu’elle a dans le cœur.

Allah (I) nous informe que les hypocrites prennent en dérision et portent atteinte à la personne du Prophète (r). C’est la preuve de leur hypocrisie et sa conséquence. Il va sans dire qu’une conséquence et qu’une preuve témoigne de la présence d’une essence (ou d’une origine ndt.). Ces éléments extérieurs confirment l’état d’hypocrisie chez une personne ; peu importe qu’elle le soit avant d’avoir prononcé sa parole, ou tout simplement en l’ayant prononcé. »[15]

Ainsi, les actes extérieurs sont la preuve des sentiments, et les mauvais sentiments s’extériorisent obligatoirement. On ne peut dénigrer avec le cœur et dans les paroles une personne qu’on encense et à qui on doit obéissance. Ces deux sentiments sont incompatibles et opposés. Quand l’un se manifeste dans le cœur, c’est en raison de l’absence de l’autre. Dénigrer le Prophète (r) s’oppose littéralement à la foi.[16] Qui peut oser dire qu’ibn Taïmiya rejoint les murjites ?

Dans un autre passage, ibn Taïmiya est encore plus éloquent. Il développe en effet : « Dans cet ordre, celui qui dément le Messager avec son cœur, qui le déteste, le jalouse, et qui refuse par orgueil de le suivre commet un crime plus grand que celui qui commet des mauvais actes (extérieurs) dénoués ce cette croyance, comme le meurtre, l’adultère, l’alcool, le vol. Quant aux actes de mécréance extérieurs comme se prosterner devant une idole, insulter le Messager, etc. c’est uniquement dans la mesure où ils impliquent la mécréance intérieure. Sinon, en supposant qu’en se prosternant devant une idole, sans intention de le faire à son attention, mais en ayant le cœur tourné vers Allah, cela ne relève pas de la mécréance.[17]

Cela peut même devenir autorisé, pour celui qui, se trouvant au milieu des païens, craint pour sa vie ; c’est ce qui le pousse à faire comme eux en apparence, tout en ayant l’intention de se tourner vers Dieu en se prosternant. Il est dit que certains savants musulmans et des gens du livre se livraient à ce genre de choses, avec des païens, qui se convertirent. Ils les appelèrent à la religion, sans afficher, au début, leur désaccord. » [18]

D’après ‘Abd Allah ibn Abî Awfâ, lorsque Mu’âdh rentra du Shâm, il se prosterna devant le Prophète (r) en guise de salutation : « Que fais-tu Mu’âdh Lui demanda-t-il ?

– Je me suis rendu dans la région du Shâm, expliqua-t-il. Je les ai vus se prosterner devant leurs moines et leurs prêtres. Je me suis dit que nous devrions faire pareille envers toi.

– Ne le faites envers personne, rétorqua-t-il, si j’avais ordonné à un être humain de se prosterner devant un autre, j’aurais ordonné à la femme de se prosterner devant son mari [compte tenu des droits immenses qu’il concède sur elle]. Par Celui qui détient l’âme de Mohammad entre Ses Mains ! Elle ne remplira pas ses devoirs envers Allah tant qu’elle ne remplira pas ses devoirs envers lui. S’il la désire, elle ne doit pas se refuser à lui, quand bien même elle serait à dos de chameau. »[19]

En explication à ce hadîth, Sheïkh el Islam souligne : « Quant à l’humilité spirituelle, la dévotion du fond du cœur (qunût), la reconnaissance de la Seigneurie et de la divinité, celles-ci reviennent dans l’absolu à Allah Seul. Il est impossible et complètement faux que quiconque en dehors de Lui puisse s’arroger un tel droit.

Quant à la prosternation, c’est une pratique religieuse qu’Allah nous a imposé de faire devant Lui. Cependant, s’Il nous avait demandé de le faire devant une créature, nous l’aurions fait par obéissance envers Lui (dans la situation par exemple où Il aimerait que nous honorions l’une de Ses créatures). S’Il ne nous l’avait pas ordonné, nous ne l’aurions jamais fait. Les anges se sont prosternés devant Adam pour obéir, adorer Dieu, et se rapprocher de Lui à travers cela. Dans le cas d’Adam, c’est en guise d’honneur et d’encensement. Quant aux frères de Yûsaf, ils se prosternèrent devant lui en guise de salut. Ne vois-tu pas que si Yûsaf s’était prosterné devant ses parents, il n’y aurait rien eu à son encontre… »[20]

Ailleurs, il signe : « Les animaux se prosternaient devant le Prophète (r), bien qu’il n’adorent qu’Allah. Comment peut-on dire alors que la prosternation implique obligatoirement l’adoration ? Alors que le Prophète (r) est l’auteur des paroles : « Si j’avais ordonné à un être humain de se prosterner devant un autre, j’aurais ordonné à la femme de se prosterner devant son mari, compte tenu des droits immenses qu’il concède sur elle. » [21] Il va sans dire qu’il n’a pas dit : Si j’avais ordonné à un être humain d’adorer…»[22] Deux pages avant, il fait la distinction entre se prosterner « pour » une chose (avec encensement et révérence) et « devant » une chose.[23]

C’est ce qui nous pousse à parler du kufr el i’tiqâdî dans la partie suivante :

À suivre…

[1] Voir : el umm de Shâfi’î (4/250).

[2] Voir : e-sârim el maslûl (3/963).

[3] Voir : majmû’ el fatâwâ (14/120).

[4] Ahkâm el janâiz (p. 203).

[5] Voir : el fatâwa (1/131).

[6] Idem. (1/132)

[7] Idem. (12/186).

[8] El majmû’ e-thamîn (1/65).

[9] E-salât (p. 55).

[10] Fath el Bârî (1/114).

[11] El badâi’ (4/42).

[12] E-durar e-saniya (1/102).

[13] sharh qawâ’id el muthlâ.

[14] Fitna e-takfîr.

[15] E-sârim el maslûl (p. 35)

[16] E-sârim el maslûl (p. 521-523, et 527).

[17] Autre traduction possible et qui est même peut-être plus précise : « Sinon, si, par coïncidence, il venait à se prosterner devant une idole… »

[18] Voir : majmû’ el fatâwâ (14/120).

[19] Hadîth rapporté par ibn Mâja dans son recueil (1853), Ahmed (21986), et ibn Abî Shaïba (4/305) ; Sheïkh el Albânî l’a authentifié dans sa correction de sunan ibn Mâja.

[20] Voir : majmû’ el fatâwâ (4/360).

[21] Hadîth rapporté par ibn Mâja dans son recueil (1853), Ahmed (21986), et ibn Abî Shaïba (4/305) ; Sheïkh el Albânî l’a authentifié dans sa correction de sunan ibn Mâja.

[22] Voir : majmû’ el fatâwâ (4/360).

[23] Voir : majmû’ el fatâwâ (4/358).

L’intention dans les questions du takfîr
(Partie 5)

Le kufr el i’tiqâdî

Abû Nasr el Marwazî est l’auteur des paroles : « … La foi est composée d’une essence et des branches ; elle est antonyme à la mécréance dans tous les sens du terme. L’essence se compose de la reconnaissance et de la croyance, et les branches permettent de parfaire les actes du cœur et des membres. Mécroire en Allah, en Ses enseignements, et renoncer à croire en/pour Lui est antonyme de la reconnaissance et de la croyance qui composent l’essence de la foi.

L’antonyme de la foi qui touche aux actes non à la reconnaissance est une mécréance qui ne fait pas sortir de la religion, mais qui consiste à négliger les actes ; de la même manière que les actes intègrent la foi, mais sans relever de la reconnaissance d’Allah. En délaissant la foi au niveau de la reconnaissance d’Allah, on devient mécréant à qui on somme de se repentir.

De la même manière, en délaissant la foi au niveau des actes (l’aumône légale, le pèlerinage, le jeûne, éviter de boire du vin et de faire l’adultère par scrupule religieux) on perd une partie de la foi, mais on n’est pas sommé de se repentir, selon notre opinion et celle de nos opposants sur la question qui nous concerne parmi les traditionalistes, mais aussi parmi les innovateurs adhérant au crédo selon lequel la foi est composée de la croyance et des actes. Seuls les kharijites se distinguent sur la question.

Quand nous disons qu’il est mécréant pour avoir négligé les actes, cela ne veut pas forcément dire qu’on lui somme de se repentir et qu’il n’est plus concerné par les lois de l’Islam… étant donné qu’il ne touche pas à l’essence de la mécréance qui consiste à renier Allah ou Ses enseignements…

C’est à partir de ce raisonnement que nous soutenons l’idée selon laquelle en délaissant la croyance, on est mécréant, et en délaissant les obligations tout en donnant foi à leur caractère obligatoire, on n’est pas mécréant, si ce n’est qu’on a délaissé la vérité. On dit bien : tu as renié mon droit et mes bienfaits dans le sens où tu les as négligés en faisant preuve d’ingratitude.

Les tenants de cette tendance disent : nous nous appuyons en cela sur l’exemple des Compagnons et de leurs successeurs qui pouvaient désigner par le terme mécréant les branches de la mécréance, non son essence ; soit une mécréance qui ne fait pas sortir de la religion ; de la même manière qu’ils pouvaient désigner par le terme foi, les branches de la foi non son essence ; en les délaissant, on ne sort pas de la religion. »[1]

Dans l’un de ses ouvrages, Sheïkh Sa’dî affirme : « En un mot, en démentant (takdhîb) Allah ou en démentant Son Messager dans les enseignements qu’il rapporte, on devient mécréant ; ou bien, en n’adhérant pas (lam yaltazim) aux commandements d’Allah et de Son Messager. Toutes ces choses s’opposent à la foi conformément au Coran et à la sunna. Tous les discours des légistes expliquant en détail les formes d’annulations reconnues de l’Islam reviennent à cette cause. »[2] La cause en question, c’est le takdhîb ou ‘adam el iltizâm. Ainsi, l’ambiguïté que peuvent susciter ces paroles se dissipe, car il veut dire que l’origine du kufr a lieu soit au niveau du qawl el qalb soit au niveau de ‘amal el qalb.

Ibn Taïmiya explique ce phénomène : « La Parole d’Allah est composée des enseignements (khabar) et des commandements (amr). Les enseignements réclame de croire (tasdîq) aux paroles de l’interlocuteur, et les commandements réclame de s’y soumettre (el inqiyâd et l’istislâm), qui correspond aux actes du cœur (‘amal el qalb), renfermant la soumission totale (khudu’ et inqiyad) aux commandements, même sans les mettre en pratique (in lam yaf’al el ma-mur bihi). En répondant à l’enseignement par le tasdîq et au commandement par l’inqiyâd, on obtient l’origine de la foi dans le cœur, qui n’est autre que l’apaisement (tu-manîna) et l’iqrar. »[3]

Il explique la page suivante : « La foi est composée des paroles et des
actes – je veux dire à l’origine – des paroles du cœur (qawl el qalb) et des actes du cœur (‘amal el qalb).

La foi, conformément aux Paroles d’Allah et à Sa Révélation renferme Ses enseignements et Ses commandements. L’individu croit aux enseignements (tasdîq), ce qui va engendrer un état dans le cœur dont l’intensité sera en fonction de l’enseignement. Le tasdîq est une forme de savoir et de qawl. Puis, il se soumet au commandement ; c’est l’inqiyâd et l’istislâm qui est une forme de volonté et d’acte (irâda wa ‘amal). Il ne peut être croyant sans fournir les deux en même temps.

En délaissant (taraka) l’inqiyâd, il devient un orgueilleux et compte ainsi parmi les mécréants, quand bien même il fournirait le tasdîq. »[4]
Sheïkh Hâfizh el Hakamî explique dans ce registre : « Si on nous demande : se prosterner devant une idole, dénigrer le Coran, insulter le Messager (r), se moquer de la religion, etc. relèvent du kufr ‘amalî (mécréance des actes), et pourtant ils font sortir de la religion, alors que vous avez défini le kufr ‘amalî par la mécréance mineure. »

Puis, il enchaîne : « Sache que ces quatre annulations de l’Islam et autres relèvent du kufr ‘amalî uniquement dans le sens où elles proviennent des membres ; c’est ce qui apparait aux gens. Cependant, elles ne peuvent provenir sans perdre les actes du cœur (‘amal el qalb), comme l’intention, la sincérité exclusive, la soumission.

Il ne reste plus rien de ces sentiments. Ainsi, bien qu’elles proviennent des actes en apparence, elles impliquent obligatoirement le kufr i’tiqâdî (la mécréance du cœur). Elles ne peuvent provenir que d’un hypocrite, renégat, obstiné et tyran. »[5] Il rejoint exactement le discours d’ibn Taïmiya cité précédemment.

Sheïkh Hâfizh el Hakamî explique qu’en fait, le kufr extérieur implique le kufr intérieur, et c’est dans ce sens qu’il utilise le terme kufr i’tiqâdî, non qu’à ses yeux, il n’y a pas de kufr ‘amalî mukhlij min el milla…

Ce qui a échappé à Dawsarî et à d’autres, c’est que certes le kufr akbar provient du cœur, de la parole, et des actes, mais les savants utilisent cette classification ou certaines de ses parties, pour désigner soit le kufr akbar soit le kufr asghar, en regard de différentes considérations. Certains d’entre eux en effet se permettent des dépassements dans le choix du vocabulaire, et utilisent un terme dans un autre sens que son sens premier ou son sens technique. Ils sont motivés par de multiples raisons qu’il serait trop long d’expliquer.

L’essentiel est de savoir que selon l’usage courant, le kufr akbar désigne le kufr i’tiqadî et que le kufr asghar désigne le kufr ‘amalî. C’est donc, par condescendance. Quant au kufr el qawlî, il entre parfois dans le kufr akbar et parfois dans le kufr asghar.[6] Wa Allah a’lam !

Or, comme nous l’avons vu, il est plus précis de classer le kufr en mukhrij min el milla et ghaïri mukhrij min el milla que de le classer en ‘amalî pour parler du kufr asghar et i’tiqâdî pour parler du kufr akbar étant donné que certains actes du domaine du kufr ‘amalî relèvent du kufr akbar.[7]
Wa bi Allah e-tawfiq !
Par : Karim Zentici

[1] Ta’zhîm qadr e-salât d’Abû Nasr el Marwazî (2/519).

[2] El irshâd ilâ ma’rifa el ahkâm (p. 210).

[3]E-sârim el maslûl (p. 521).

[4]E-sârim el maslûl (p. 522).

[5]200 suâl wa jawâb fî el ‘aqîda (p. 99).

[6] Voir : e-takfîr wa dhawâbituhu (p. 110)

[7] Voir : e-takfîr wa dhawâbituhu de Sheïkh Ibrahim e-Ruhaïlî

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